Chapitre #5 | Les SUV, moteurs de la pollution automobile

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Alors que les véhicules électriques tentent de se faire leur place dans le marché automobile, une autre catégorie gagne du terrain : les SUV. Leurs ventes en constante augmentation est pourtant problématique pour l’environnement. Enquête. 

À votre avis, quel est le marché automobile le plus dynamique aujourd’hui ? L’électrique ? Non, ce sont les SUV. Ces “Sport Utility Vehicules” sont, en résumé, des 4×4 de loisir, pensés pour la famille plus que pour le tout-terrain. Pourtant, ces véhicules ont le même gabarit imposant caractéristique, ont souvent 4 roues motrices et consomment plus. L’appellation, qui séduit, concerne désormais autant les grosses cylindrées que les fausses petites citadines, les “crossovers”. 

Ces véhicules représentaient en 2010 environ 5% des ventes en France. Aujourd’hui, c’est quasiment 40%, malgré le fait qu’ils émettent plus de CO2. Pourquoi les ventes de SUV progressent-elles autant, et pourquoi est-ce problématique ?

« Les consommateurs voient les SUV comme un symbole de statut, et de sécurité. »

APOSTOLOS PETROPOULOS

La publicité en ligne de mire

Après une première étude montrant que les SUV sont la 2ᵉ source de l’augmentation des émissions de CO2 en France, WWF France s’attaque désormais à leur publicité.  Le 24 mars dernier, l’ONG publiait une étude démontrant la responsabilité de la publicité dans la hausse des ventes de SUV, plus polluants que les voitures classiques. La demande est simple, interdire leur promotion.

En effet, les SUV occupent la première place dans la publicité. Chaque jour, ils représentent l’équivalent de deux matchs de foot et 18 pages dans la presse. L’ONG WWF dénonce une « surexposition des consommateurs à la publicité de véhicules polluants ». Mais pourquoi les publicités pour les SUV sont-elles si présentes dans notre paysage médiatique ? Pour Apostolos Petropoulos, modélisateur en énergie à l’IEA (International Energy Agency), « c’est une combinaison de caractéristiques liées à l’offre et la demande. Les consommateurs voient les SUV comme un symbole de statut, et de sécurité. » En clair, c’est un cercle vicieux. Les gens aiment la tendance SUV, la volonté d’avoir une grosse voiture, comme aux États-Unis. Ils achètent plus, donc il y a plus de pubs, ce qui permet de vendre plus, et ainsi de suite…

Deux poids deux mesures 

On ne s’en rend pas compte, mais ce sont des sommes colossales qui sont mises en avant pour promouvoir ces véhicules. Les dépenses liées à la publicité et la communication de la filière automobile en France en 2019 s’élevaient à 4,3 milliards d’euros. Les SUV représentaient 1,8 milliard d’euros à eux seuls, soit 42% des investissements. Selon WWF, « chaque SUV vendu en France représente un investissement publicitaire de 2 300 euros. » 

Pour l’ONG, le gouvernement manque de cohérence. D’un côté, la loi pour les finances de 2021 prévoit de taxer les SUV les plus lourds, au-delà de 1,8 tonne, à partir de janvier 2022 (la Convention Citoyenne pour le Climat avait proposé un seuil fixé à 1,4 tonne). De l’autre, la publicité continue de vanter les mérites de voitures contraires aux objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050 fixés par les Accords de Paris… Contactés par email et par téléphone, le Ministère de la Transition Écologique se sont abstenus de répondre à nos questions après leur envoi. 

Des conséquences catastrophiques et incohérentes 

Si les SUV font autant débat, c’est parce que les émissions supplémentaires de CO2 émises par ce type de véhicule par rapport à des modèles plus légers sont conséquentes. Tellement, que l’IEA estime que la baisse des émissions engendrées par les véhicules électriques en 2020 a tout simplement été annulée par l’explosion des SUV. Pire encore, sur les dix dernières années, les SUV sont le seul secteur où est observé une hausse des émissions de dioxyde de carbone. Là où la production électrique, les industries lourdes et manufacturières et même les autres formes de transports ont fait des efforts pour diminuer ou stabiliser leur impact sur l’environnement, le secteur automobile spécifique des SUV pollue de plus en plus. 

Une aberration, alors que les industries mondiales se plient pour atteindre les objectifs fixés par plusieurs conventions climatiques internationales pour le Protocole de Montréal ou les Accords de Paris pour freiner les effets du réchauffement climatique. Pourtant, la pollution accrue des SUV est bien connue. Selon l’IEA, ces véhicules consomment en moyenne 20% de plus qu’une voiture traditionnelle sur la même distance. Cette consommation supplémentaire est une moyenne mondiale, et varie fortement selon les marchés. Aux États-Unis, où les SUV sont bien installés dans le parc automobile, cette hausse est de 30%. En Europe, où les citadines et les berlines restent majoritaires malgré cette récente poussée des SUV, les émissions additionnelles tournent autour de 10%. 

La faute des constructeurs ? 

Contactés par email, Peugeot ont rappelé que leurs SUV respectaient les normes de pollution à l’oxyde d’azote fixées en 2019, et que la marque poursuivait ses efforts d’électrification en vue d’une gamme 100% électrique et hybride en 2025. On ne peut pas contester ces efforts, la page d’accueil du site du constructeur mettant en avant ses trois principaux modèles verts. Dans un autre registre, la marque tchèque Skoda met en avant quasi-exclusivement ses SUV. Jusqu’à il y a peu, le constructeur proposait même des promotions pouvant atteindre 6000 € sur sa gamme SUV : pratiquement autant que le bonus écologique offert à l’achat d’un véhicule électrique ou hybride. Plus c’est gros, plus ça passe…

« Électrifier des SUV, cela n’a aucun sens. »

Apostolos Petropoulos

Mais même Peugeot, qui entend respecter les normes d’émission avec ses véhicules verts, soulève un problème : deux des trois modèles électriques ou hybrides mis en avant sont des SUV. Pourquoi les SUV plaisent tant aux constructeurs ? Vous l’aurez deviné, tout est question de rentabilité. L’électrification et l’hybridation des véhicules a le mérite de faire baisser les émissions moyennes de la catégorie générale des modèles crossovers, SUV ou 4×4. Ces émissions se rapprochent des normes imposées, et donc de celles des citadines ou plus petites voitures. Des modèles qui se vendent moins que le secteur SUV. Pour la même taxation sur les émissions, les constructeurs privilégient donc ces véhicules qui se vendent mieux et plus chers par rapport à leurs gammes plus petites, et moins rentables, car moins onéreuses. 

Un impact environnemental caché

Cette concentration sur les SUV, même au sein des gammes électriques et hybrides, est aussi problématique que leur consommation plus importante. En effet, ces véhicules plus gros nécessitent forcément plus de matières premières. Cela entraîne donc une pollution supplémentaire lors de la production, en plus des émissions liées à leur utilisation future. Et le problème s’exacerbe lorsque l’on étudie le cas des véhicules électriques, censés être la solution pour atteindre les objectifs d’émissions 0 fixés en 2050. Mais « électrifier des SUV, cela n’a aucun sens », selon Apostolos Petropoulos, de l’IEA. En effet, comme leurs homologues à propulsion fossile, les SUV électriques consomment 15 à 20% d’électricité en plus et nécessitent des batteries 30% plus grosses. Encore une fois, plus de matières premières et plus de consommation durant la vie du véhicule. 

« On voit que si l’on ne se fixe pas d’objectifs, les émissions augmentent. Il faut mettre en place les bonnes mesures. »

Apostolos Petropoulos

Comme le note Apostolos Petropoulos, il est estimé qu’il faut que 100% des ventes mondiales d’automobiles soient électriques d’ici à 2035 pour espérer atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050. Comment freiner l’essor des ventes de SUV, alors ? Si les ventes de véhicules électriques explosent, il faut plus de mesures pour encourager la transition du fossile vers le renouvelable. Les pays nordiques, comme la Norvège et ses 54% de ventes électriques en 2020, ont par exemple instauré des aides supplémentaires et des exonérations d’impôt sur les véhicules verts.

Un besoin de mesures plus fortes

Étienne Rosset, du collectif “Grâce à mon SUV”, déplore que le seuil taxable pour les SUV ait été fixé à 1,8 tonne et non 1,4 tonne en France. « Cela concerne un segment minime de la part des véhicules », note-t-il. Les SUV les plus lourds sont aussi les plus chers. Le seuil de 1,4 tonne concernent une plus large catégorie de voitures, et surtout ceux plus accessibles par les classes moyennes, plus susceptibles d’être dissuadés par le malus et les taxes. 

Le gouvernement doit donc plus inciter les consommateurs à se tourner vers des véhicules plus légers et plus verts. Des initiatives ont fonctionné en France, notamment pour le vélo électrique. Avec les primes à l’achat, leurs ventes ont explosé, pour représenter 56% du chiffre d’affaires du marché des vélos en 2020, du jamais vu, encore en constante augmentation. En prenant l’exemple des vélos, il faut donc renforcer les aides disponibles pour l’automobile tout en pénalisant plus fortement l’achat de véhicules polluants. 

Freinage d’urgence 

Ralentir l’engouement autour des SUV est bien plus important que remplacer une mode par une autre. Alors que les émissions globales du mois de décembre 2020, en pleine sortie relative de la crise sanitaire liée à la Covid-19, ont dépassé celles de décembre 2019, il est plus que jamais nécessaire de transformer nos modes de consommation. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone fixés en 2050, il n’est plus question de rouler avec des véhicules consommant 20% de plus que la normale, à l’ère de l’électrification urgente et inévitable. 

D’autant plus que de nouveaux challenges vont confronter le monde de l’automobile : selon des études récentes, l’un des premiers contributeurs de pollution aux particules fines du secteur est… le freinage. Les rejets liés au contact des patins avec le disque émettraient autant que les pots d’échappement, selon l’Ademe. Si vous vous souvenez de vos cours de physique, la distance et la force de freinage nécessaires pour arrêter un véhicule augmentent avec… le poids. Si le problème n’est étudié que depuis peu, il semble logique d’affirmer que les SUV polluent aussi plus dans cette catégorie par rapport aux véhicules plus légers. 

Avons-nous vraiment besoin de rouler en SUV ?

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