Chapitre #2, Acte 2 | Lanceurs d’alerte : L’anonymat, une protection assurée ?

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Depuis l’apparition des premiers lanceurs d’alertes, le terme rime souvent avec anonymat et protection d’identité. Mais le choix ne se pose pas toujours, non sans conséquences.

En 2008, un événement sans précédent débarque dans le monde d’internet et son nom revient sur les lèvres du monde entier : Anonymous. Ce groupe d’« hacktivistes » (contraction de hacker et activiste) a acquis sa notoriété cette année-là en s’attaquant à l’église de Scientologie. Attaque des sites internet de l’organisation, canulars téléphoniques, manipulation des résultats de recherche de Google. Toute la panoplie du hacker est utilisée.

Le collectif Anonymous est né en 2003 sur le forum 4chan. Sa popularité tient au fait que chaque utilisateur participant aux discussions est anonyme et affiche donc le terme Anonymous en lieu et place d’un pseudonyme. La communauté s’amuse à penser que derrière chaque anonymous se cache une seule et même entité bien réelle. Pour aller jusqu’au bout de la « blague », les membres rédigent les règles d’internet dans lesquelles apparaît pour la première fois ce qui deviendra le slogan du groupe de hackers : « Nous sommes anonymes. Nous sommes légion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Attendez-vous à nous. »

Internet comme porte-voix

Cette entité va prendre la parole dans les vidéos d’avertissement publiées sur YouTube à l’attention de ses différentes cibles dans lesquelles un narrateur à la voix robotique annonce les attaques à venir et les motivations derrière celles-ci. Ce personnage va se matérialiser lors des manifestations contre l’église de Scientologie lors desquelles les sympathisants du collectif défilent en portant un masque de Guy Fawkes, popularisé par la série de comics V for Vendetta d’Alan Moore dans les années 1980 et remis au goût du jour dans le film éponyme sorti en 2005.

Ce symbolisme fort contribue grandement à la popularité des Anonymous et à la manière dont internet devient un vecteur indispensable pour diffuser des idées ou des informations. C’est le cas notamment de Fuat Avni. Pas de personnification dans ce cas. Simplement un compte Twitter en langue turque, lancé en mars 2014, qui fuitait régulièrement des informations sensibles du gouvernement turque. Très bien informé, le compte alerte même en avance de certaines actions comme l’arrestation simultanée de plusieurs journalistes critiques du régime. 

Un secret trop dur à porter

Jusqu’en 2016, Fuat Avni multiplie les annonces avec une précision déconcertante et nourrit les spéculations sur l’identité de son ou sa propriétaire. Ministre turque ? CIA ? Proche du président Erdogan ? Aucune réponse. Avec deux millions de followers à ce jour, le compte est désormais inactif et l’anonymat de son auteur préservé. Pour un lanceur d’alerte, rester anonyme est l’assurance de pouvoir s’exprimer sans être inquiété mais parfois le choix ne se présente pas.

En avril 2010, le site WikiLeaks publie la vidéo classifiée d’un raid aérien de l’armée américaine à Bagdad en 2007, entraînant la mort de 18 civils, dont deux reporters de l’agence de presse Reuters, ainsi que deux enfants blessés. Cette bavure trouve un écho médiatique important et permet à WikiLeaks de se faire un nom. Le 7 juillet de la même année, les autorités américaines désignent Bradley Manning comme la taupe à l’origine de la fuite. Analyste au sein de l’armée, en partie stationné en Irak, Manning a profité de son habilitation de sécurité pour visionner et télécharger en secret des vidéos et documents top secret. Plus de 700 000 documents sont révélés au grand jour dans ce qui constitue alors la plus grande fuite de données de l’histoire des États-Unis.

Quand le masque tombe

WikiLeaks avait tout fait pour protéger sa source. Son fondateur, Julian Assange, a pu discuter longuement avec Manning mais ne voulait rien connaître de son identité, allant même jusqu’à lui ordonner de lui mentir. Manning s’est également confié à Adrian Lamo, un hacker connu en 2004 pour avoir infiltré le réseau informatique du New York Times. Au fil d’emails chiffrés, Manning sous-entend être la source des révélations. Ayant un passif avec les autorités américaines, Lamo dénonce Manning au FBI. En juillet 2013, après une longue période d’enquête, la cour martiale condamne Bradley Manning à 35 ans de prison pour espionnage. En janvier 2017, l’administration Obama réduit sa peine à 7 ans et Chelsea Manning (son nouveau nom après un changement de sexe) est finalement libérée le 17 mai 2017.

Malgré ce dernier exemple, certains lanceurs d’alerte refusent pourtant l’anonymat. L’un des exemples les plus connus est celui d’Edward Snowden. En 2013, cet ancien informaticien de la CIA (Central Intelligence Agency) et de la NSA (National Security Agency) contacte trois journalistes américains à travers des emails anonymes signés « Citizenfour ». Il leur donne rendez-vous dans une chambre d’hôtel de Hong Kong et leur dévoile l’existence de plusieurs programmes américains de surveillance de masse.

À partir de ce moment-là, Snowden ne se cache plus. « Je comprends que je vais avoir à répondre de mes actions, et que ces révélations publiques marquent la fin de ma vie telle qu’elle a été », confesse-t-il à l’un des journalistes. Depuis, sous le coup d’un mandat d’arrêt aux États-Unis, Snowden a élu domicile en Russie où il a obtenu l’asile temporaire, et depuis cette année de façon définitive.

Anonyme ou démasqué, lanceur d’alerte est une pratique à risque. Elle est pourtant nécessaire pour mettre en lumière certains dangers menaçant notre société ou notre environnement.

Lisez notre enquête sur l’anonymat ici !
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